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01.04.2021 #contemporain #musique

Deux finalistes luxembourgeois (et un gagnant !) au QuattroPole-Musikpreis 2021

L’artiste germano-luxembourgeoise Anina Rubin a récemment remporté le QuattroPole-Musikpreis, doté de 10 000 euros, pour son projet musical « Mit dem Mond im Gesicht » (« Avec la lune sur son visage »). La compositrice Catherine Kontz a accédé à la finale grâce à son projet sur l’endurance, intitulé « 12 Hours ». Ces deux œuvres sont des performances musicales qui explorent le potentiel de la composition spatiale du son et des techniques audio 3D.

Le QuattroPole-Musikpreis, organisé par les villes de Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trèves, met à l’honneur l’utilisation de techniques innovantes issues du numérique dans la musique contemporaine. Lors de cette deuxième édition, huit experts de l’industrie musicale ont désigné les finalistes et le gagnant parmi les candidatures reçues. Autant de bonnes raisons de présenter ces nouveaux projets musicaux passionnants !

 

12 Hours / Catherine Kontz

La nouvelle création de Catherine Kontz, « 12 Hours » est un marathon vocal et électronique. Alors que les chances d’assister à la prochaine performance « live » semblent encore lointaines, nous avons eu envie d’en savoir plus sur ce projet « extrême » en rencontrant sa compositrice.

Comment vous est venue cette idée de « 12 heures » et quel en est le fil conducteur ?

Catherine Kontz : Cette œuvre a été commandée par la mezzo-soprano Rosie Middleton dans le cadre d’une série qui explore les effets du traumatisme – psychologique et physique – sur la voix parlée et chantée. Nous avons fondé notre travail sur le concept de l’endurance, l’idée étant d’étudier comment l’endurance fonctionne dans la musique, ce qu’elle fait à la perception du temps et du son par les auditeurs et les interprètes, et comment elle peut affecter la voix. La longue durée offre une formidable occasion d’explorer un territoire relativement méconnu, notamment en termes d’endurance vocale, mais elle ouvre également la musique à des structures et des processus de composition pouvant évoluer à un rythme très lent et sur une durée très longue, de sorte qu’il n’est jamais possible d’expérimenter ce genre de chose dans une œuvre de taille classique. 

Dans quelle mesure l’interprète, la mezzo-soprano Rosie, a-t-elle contribué à la création de cette composition ?

C.K. : Avant que je compose « 12 Hours », Rosie et moi avions eu la chance de participer à une résidence à Snape Maltings, au Royaume-Uni, ce qui nous a permis de faire des expérimentations sonores et de décider de ce que nous voulions réaliser. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre pour un seul chanteur, il existe beaucoup d’autres supports, comme les pistes audio, qui peuvent être manipulés en direct et entièrement basés sur les échantillons de voix de Rosie. Ainsi, pendant la performance, on a l’impression qu’il y a de nombreuses Rosie dans la pièce ! Suite à ces premiers essais, nous avons réalisé un enregistrement des notes les plus longues qu’elle pouvait atteindre, dans de multiples variations. Nous avons même testé la supplémentation en oxygène et d’autres boosters (légaux) de performance, ainsi que des appareils d’entrainement pulmonaire. J’ai ensuite décidé comment chaque heure devait être construite, et composé l’œuvre en conséquence. La performance en direct laisse toutefois une grande place à l’interprétation, mais aussi à l’improvisation, car Rosie suit une partition qui contient principalement des instructions sur la hauteur de ton à adopter et des indications sur la manière de réagir à tout ce qui se passe, dans le son et dans l’action théâtrale. Sa voix en direct, ainsi que les pistes pré-enregistrées, sont toutes traitées par un programme de son spatial en direct, à la volée, et je peux également réagir à ce qu’elle fait et « déplacer » les sons comme j’en ai envie autour du public. Ainsi, en plus des nombreuses « Rosies » que l’on entend, les manipulations en direct du son et de la lumière alimentent également le dialogue entre l’artiste et l’auditoire. 

Pourriez-vous nous parles de difficultés et des moments amusants du processus de création, de la première performance-test à la réalisation du film ?

CK : Lors d’une seconde résidence au King’s Creative Quarter, début 2020, nous avons testé une version de 4 heures. Avec l’aide d’une brillante équipe de créatifs, nous avons vu l’œuvre (y compris l’éclairage et les costumes) prendre vie sous nos yeux, en présence d’un petit cercle d’invités, et ce fut un moment magique ! Nous étions tous un peu nerveux à l’idée de cette performance ininterrompue pendant quatre heures, mais une fois le spectacle commencé, le temps a passé très vite et à la fin de la quatrième heure, nous étions fatigués mais nous en voulions encore ! Les musiciens sont habitués à s’entraîner pendant de longues heures, mais ce n’est évidemment pas la même chose quand vous jouez devant un public, et c’est forcément l’une des difficultés de cette pièce. Par un pur hasard, il se trouve que toutes les heures, nous entendions une cloche sonner depuis la cour de Somerset House, et cela a donné au morceau une fin émouvante quand la cloche a sonné 8 heures. Du coup, j’étais très contente que nous ayons commencé à l’heure pile à l’heure prévue !!

CK : Pour montrer au public les sensations que procurent cette performance immersive, nous avons récemment réalisé un film de 12 minutes avec Hannah Lovell, en utilisant la version binaurale du programme pour le son, afin que tout le monde puisse l’apprécier sur un casque. Pour la musique, j’ai compressé le processus de composition de l’Heure 1 et l’ai réduit à « 12 minutes », ce qui le rend un peu plus intense que la version d’une heure. Ainsi, « 12 minutes » est devenu un projet parallèle de « 12 Hours », une sorte de douche rapide de sons et de couleurs au lieu d’un grand bain, que l’on peut utiliser lorsque la version immersive de l’œuvre n’est pas possible. Le fait de devoir trouver de nouvelles façons d’aborder le projet a été passionnant, car le Covid a retardé la possibilité d’une première performance de 12 heures en bonne et due forme.

Et l’« endurance » est (sous un angle légèrement différent) un enjeu pour chaque artiste en cette période de pandémie. Ce lien est-il une coïncidence ?

CK : Nous avons commencé à travailler sur « 12 Hours » à l’été 2019, alors que les pandémies semblaient relever de la science-fiction, du moins dans cette partie du monde. Mais il est clair que les compétences, la résilience et l’endurance dont les artistes et les musiciens ont dû faire preuve pendant cette crise entrent en résonance avec cette œuvre. 12 Hours met ses interprètes et son public à l’épreuve… Le but étant que tous s’en sortent le mieux possible ! Mais cela, seul le temps le dira… 

Pour en savoir plus sur Catherine Kontz : http://www.catherinekontz.com/12-hours/

 

Mit dem Mond im Gesicht / Anina Rubin

En tant qu’artiste, Anina Rubin, germano-luxembourgeoise, se situe au point de jonction entre la musique, la performance, l’art visuel et l’art numérique. Elle a étudié les langues, la photographie et les arts médiatiques à Berlin, et poursuit actuellement sa formation à l’Université des arts appliqués et du design de Karlsruhe, en Allemagne. Ses œuvres ont été présentées au ZKM de Karlsruhe, au Bundeskunsthalle de Bonn et à la Tate Modern de Londres.

Sa création « Mit dem Mond im Gesicht » (« Avec la Lune en son visage ») est une œuvre sonore spatiale, une production musicale ambisonique de premier ordre composée de multiples couches d’images animées spécialement écrites et produites pour des performances en direct. « Elle raconte une histoire de voyages dans les sphères, dont l’héroïne est en quête viscérale d’un moment de liberté. Pourtant, elle semble se perdre, encore et encore, tout en gardant cet espoir ancré en elle. Chaque scène se termine par une métamorphose qui l’entraîne dans une nouvelle sphère, jusqu’à ce qu’une dissolution complète redonne une sensation d’unité ». Ce collage sonore superpose des compositions de piano, d’enregistrements vocaux, de paroles, de synthétiseurs modulaires, d’enregistrements effectués sur le terrain et de nombreux effets sonores et bribes de textes transformés.

Anina Rubin travaille actuellement sur plusieurs nouvelles créations. « Je travaille toujours sur des projets en lien avec le son, la musique et/ou les images animées, en mettant l’accent sur les productions en direct, notamment pour les performances sonores spatialisées. Sur l’un de ces projets (une production internationale soutenue par OpenScreen a.s.b.l.), j’ai eu le plaisir de travailler avec Birds on Mars, qui m’a aidée à générer des voix Anina clonées pour que les neurones ANN puissent s’animer, parler et chanter ! J’ai aussi un autre projet, en préparation depuis deux ans, qui va faire appel à tous les sens du public avec des bribes de paroles extatiques, la transformation de cacao en paillettes dorées et le traitement spatialisé du signal de tous les musiciens en direct. Mais, ce projet ne sera pas prêt avant fin 2022 ! Et je viens de commencer un projet en duo avec un musicien très talentueux et inspiré, alors espérons que l’on pourra bientôt jouer de la musique en direct… devant de vrais spectateurs… qui auront le droit de danser, de s’embrasser et de montrer leur sourire. »

Plus d’informations sur Anina Rubin : https://anina.land/

https://quattropole.org/missionen/attraktivitaet_steigern/kultur/quattropole_musikpreis